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CNAS du 8 juillet 2021 : Bercy liquide les résidences

CNAS du 8 juillet 2021 : Bercy liquide les résidences EPAF

(Cliquer sur lien vers le site de la Fédération des Finances CGT)

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Article publié sur Le Monde Diplomatique - Juillet 2021

Du projet d’émancipation au consumérisme

Vacances pour tous, une utopie qui s’éloigne

Les confinements ont exacerbé le besoin de grand air, auquel répondent des offres commerciales abondantes pour une clientèle favorisée. Mais une part considérable de la population en reste exclue. Les dispositifs créés pour permettre le départ en vacances du plus grand nombre sont affaiblis, à l’image des activités sociales et culturelles des comités d’entreprise, rognées par l’espace marchand.

par Geneviève Clastres

Jusqu’à la Libération, les « œuvres sociales » des entreprises restaient à la discrétion des employeurs, dans un esprit paternaliste. La création des comités d’entreprise (CE), entre 1945 et 1946, a permis de confier à une instance élue par les travailleurs les actions sociales, sportives ou culturelles financées par une quote-part de la masse salariale dans les sociétés de plus de cinquante salariés. Mer, montagne, campagne : des millions de Français ont pu partir en vacances grâce à ces structures, favorisées au départ par la nationalisation des grandes entreprises.

Outre leur rôle de contre-pouvoir dans la gestion et la marche de l’entreprise, la loi confie aux comités les activités tendant à l’amélioration des conditions de bien-être, des activités sportives ou de loisirs, et tout ce qui touche la culture (1). Pour que chacun puisse goûter aux vacances, l’instauration des congés payés ne suffisait pas. Encore fallait-il pouvoir organiser le déplacement et l’hébergement des vacanciers à des prix modestes. « Huit millions de Français partent en vacances en 1951, contre vingt millions en 1967, et près de trente millions en 1979 », note l’historien Sylvain Pattieu (2).

Proche de la Confédération générale du travail (CGT), qui contrôlait de nombreux comités d’entreprise, et du Parti communiste français (PCF), l’association Tourisme et travail compta jusqu’à trois millions d’adhérents au début des années 1980. Lors de l’embellie du syndicalisme dans les années 1960, plusieurs organismes issus d’autres syndicats (Invac, Cecorel, Promtour) consolidèrent l’offre de tourisme social. Pour remédier au déficit de structures d’accueil à moindre coût, beaucoup se dotent alors de centres d’hébergement : colonies, campings, villages de vacances, etc. Durant les « trente glorieuses », de nombreuses municipalités, notamment les mairies de la « ceinture rouge » de Paris, acquièrent de superbes demeures et résidences de villégiature pour accueillir les classes populaires et travailleuses.
Les loisirs, une question politique

En 1981, le retour de la gauche au pouvoir marque un tournant ambivalent. D’un côté, les salariés gagnent de nouveaux droits d’expression avec les lois Auroux et un plancher de financement des CE (0,2 % de la masse salariale). Les aides au départ en congé sont élargies avec la création des chèques-vacances par le ministre du temps libre, M. André Henry, en 1982. Ces moyens de paiement distribués par les CE et les caisses d’allocations familiales s’adressent prioritairement aux personnes aux revenus les plus modestes. Mais ce dispositif, dont bénéficient aujourd’hui 4,6 millions de salariés et de travailleurs indépendants, consacre aussi la personnalisation des aides au profit du secteur marchand. Dans le même temps, les financements pour l’entretien et la rénovation du patrimoine immobilier des CE se réduisent, tandis que les normes régissant la sécurité ou l’hygiène des établissements recevant du public ne cessent d’être durcies, imposant des investissements majeurs.

« Les évolutions commerciales du secteur aboutissent à une remise en cause du terme même de “tourisme social”, aux connotations jugées trop corporatives, au profit du tourisme associatif », observe Pattieu. L’historien souligne également la qualité des prestations proposées par Tourisme et travail. Les adhérents mettent leurs talents au service des animations. Ils peuvent accéder à des éléments de culture généralement réservés à une élite (cinéma d’auteur, théâtre, expositions…), tout en abordant lors des soirées des sujets de société ou d’histoire comme la Résistance ou l’affaire Dreyfus. Les loisirs sont alors vus par les partis et les mouvements de gauche comme une question politique ; il s’agit de ne pas les abandonner au marché.

Dissoute en 1985, l’association Tourisme et travail est remplacée l’année suivante par deux entités liées : l’Association nationale de coordination des activités de vacances (Ancav), qui regroupe les centres de vacances, et Touristra (Sodistour), opérateur qui exploite les villages de vacances. La CGT parvient ainsi à sauver partiellement un dispositif encore très actif aujourd’hui avec 200 000 nuitées (France et étranger) les bonnes années. Invac et Cecorel évoluent à leur tour vers la logique marchande. La Confédération française démocratique du travail (CFDT) s’éloigne de l’approche autogestionnaire de Loisirs vacances tourisme (LVT), tandis que son ancien secrétaire général, Edmond Maire, président des Villages vacances famille (VVF) de 1989 à 1999, assume la perte de leur base militante, leurs restructurations multiples et la vente de plusieurs centres au secteur privé.

À l’automne 2017, les ordonnances Macron suppriment le CE, en le fusionnant avec d’autres instances de représentation du personnel dans le comité social et économique (CSE), élargi aux entreprises de plus de dix salariés, mais avec un budget amoindri. Les activités sociales et culturelles relèvent désormais d’un accord d’entreprise. Sur les quelque trente mille CSE, on ne compte qu’environ cinq mille comités d’action sociale ou d’œuvres sociales. Les nouvelles sociétés, celles de moins de cinquante salariés et celles qui ne finançaient rien avant le 1er janvier 2018 n’ont aucune obligation de prévoir un budget pour cela.

Aujourd’hui, les élus des comités sont pris en tenaille entre l’entretien de plus en plus difficile de leur patrimoine et la nécessité de satisfaire des salariés pas toujours disposés à partir en voyage de groupe ni à croiser des collègues en vacances. En outre, le public a évolué : « Il y a trente ans, du temps de Tourisme et travail, beaucoup de comités faisaient partir les classes populaires. Il s’agissait à 80 % d’ouvriers. Aujourd’hui, c’est à 80 % des cadres et des techniciens », déclare M. Pierre Touchet, président de Touristra.

Les CSE contrôlés par la CGT préfèrent conserver les propriétés, alors que ceux dominés par l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) ou la CFDT privilégient généralement le chèque-vacances, avec des spécificités et des nuances propres à chacun. D’après la dernière étude disponible, en 2014, 14 % des Français avaient bénéficié de chèques-vacances ; 10 % recevaient une aide de leur employeur ou du CE, 5 % de la caisse d’allocations familiales, 1 % de leur mairie et 1 % d’un autre organisme (3). Président de l’Ancav, M. Arnaud Hennebert précise : « Pour nous, le chèque-vacances est utile pour les CSE qui n’ont aucune activité sociale et pas de patrimoine. Mais, quand on sait que nos quarante-quatre villages ont besoin de 100 millions d’euros de travaux, on ne peut pas les laisser tomber. »

« C’est vrai que le chèque-vacances va dans le sens de l’individualisation de l’action sociale ; l’évolution de la société nous pousse à cela, concède M. Alain Schmitt, directeur général de l’Agence nationale pour les chèques-vacances (ANCV), un établissement public qui dépend du ministère de l’économie. Les CSE se renouvellent et suivent les tendances de la société. Certains ont un patrimoine à gérer, mais les salariés préfèrent parfois avoir plus de choix, plus de diversité. » La multiplication des formules (chèques-vacances, chèques-loisirs, chèques et cartes Kadéos…) entraîne des usages de plus en plus déconnectés des objectifs initiaux de démocratisation des vacances et d’émancipation par le temps libre. La carte Vaziva représente le comble de cette évolution vers un service purement marchand, en fournissant aux CSE des « solutions de dématérialisation » de leurs dotations sur une carte de paiement Mastercard…

Utilisables dans plus de 124 000 points de vente, dont quelques grandes enseignes de la restauration rapide, les chèques-vacances s’éloignent de leur objet. Le principe de la libre concurrence interdit un fléchage plus strict. Du côté de l’ANCV, on fait valoir que les excédents de gestion (26 millions d’euros en 2019) permettent de financer le départ au grand air de 280 000 bénéficiaires parmi les personnes les plus fragiles, dans le cadre de programmes ciblés d’actions en partenariat avec des associations, collectivités territoriales ou organismes de Sécurité sociale, ainsi que de 85 000 bénéficiaires du programme « Seniors en vacances ».

« Les syndicats devraient se souvenir de leur rôle sociétal majeur pour pousser les élus à promouvoir auprès des salariés une consommation responsable : le “bien manger”, le “bien voyager” », estime Jean-Michel Blanc, chargé d’enseignement à l’Institut de recherche et d’études supérieures du tourisme, à l’université Paris-I. C’est le cas de CSE anciens et importants, comme celui de Michelin, qui a tourné le dos aux solutions de facilité offertes par les chèques-vacances. Depuis une dizaine d’années, il privilégie à nouveau le patrimoine maison. Une nouvelle équipe a choisi de rénover le centre de l’île d’Yeu, en Vendée, en l’insérant davantage dans la vie locale par l’ouverture de la piscine aux habitants de l’île et l’utilisation accrue de produits locaux. Par ailleurs, le CSE a travaillé à la mise en place de courts séjours de proximité avec le parc naturel régional Livradois-Forez. « Il était important de montrer que le dépaysement et la nature ne sont pas uniquement accessibles à l’autre bout du globe, ni réservés à une élite, explique Maxence Cordonnier, doctorant et chargé de recherche au CSE Michelin. Avec une forte subvention, de l’ordre de 70 % pour le quotient familial moyen, on donne la possibilité aux ouvriers de se ressourcer à côté de chez eux. »

« L’hiver, on travaille avec VVF Villages, VTF Vacances, et on subventionne les forfaits. Sans les CSE et les œuvres sociales, la montagne et le ski seraient quasi inaccessibles aux classes populaires », souligne M. Jean-Jacques Henry, vice-président de l’association d’action sociale, culturelle, sportive et de loisirs du ministère de l’agriculture. Acteur de poids, la Caisse centrale d’activités sociales (CCAS), qui représente les activités sociales de l’énergie — Électricité de France (EDF), Engie, Enedis, Réseau de transport d’électricité (RTE) — ne cède pas non plus aux sirènes du tourisme marchand. Elle veille toujours à offrir des séjours « nature » très accessibles à ses 650 000 bénéficiaires, en s’appuyant sur plus de trois cents villages de vacances et campings, dont une cinquantaine exploitée directement. La CCAS a aussi noué des partenariats avec des opérateurs du tourisme social pour les voyages, ou avec des collectivités.

Il reste cependant difficile d’échapper au modèle dominant, y compris dans l’imaginaire des plus précaires, explique Mme Louise Fénelon, directrice de Vacances voyages loisirs (VVL), qui organise des séjours pour des jeunes et des familles de la ceinture de Paris : « Nous avons fait le choix de garder des centres en pleine campagne pour préserver cette connexion des enfants avec la nature, mais, pour nos ados et nos jeunes, les vacances, c’est avant tout le bord de mer, la piscine, et si possible l’hôtel. Il n’est pas toujours évident de déconstruire cet idéal. » « L’envie de nature de la clientèle française a évolué en un ensemble très contradictoire, renchérit M. Touchet. Le vacancier a envie de rencontres et de partage, mais ne souhaite plus être contraint par un programme imposé. En outre, les agences de voyages en ligne nous compliquent énormément la vie. Elles font des promotions telles que certains salariés des CSE arrivent à trouver moins cher qu’avec nous. Les mêmes agences qui nous aident à remplir nos centres créent de la concurrence pour nos CSE… »

L’Union nationale des associations de tourisme et de plein air (UNAT) est à la tête du réseau du tourisme social et solidaire, qui interpelle régulièrement les pouvoirs publics pour rappeler par exemple que, en 2019 encore, seulement 63 % des Français sont partis en vacances (4). « Aujourd’hui, et encore plus dans le contexte de la crise sanitaire, l’État ne peut plus ignorer la question du patrimoine immobilier, avertit M. Simon Thirot, délégué général de l’UNAT. Face à la montée en gamme généralisée, nos opérateurs, qui s’adressent aux familles les plus précaires, se battent pour garder des produits accessibles à tous, en accueillant des dispositifs de soutien au départ et, pour certains, en pratiquant une tarification différenciée en fonction du quotient familial. Mais les CSE jouent aussi un rôle très important ; il est donc fondamental qu’ils ne lâchent pas les vacances. »

La question d’une politique publique permettant de reconnecter le plus grand nombre à la nature reste posée. « À un moment donné, l’État a considéré que le tourisme social était un champ syndical, un domaine qui ne relevait pas de lui, analyse M. Touchet. Mais il doit être partie prenante. Cela a un coût ; les comités d’entreprise ne peuvent prendre en charge à eux seuls le tourisme social… »

En vingt ans, de nombreux dispositifs ont vu le jour pour soutenir cet héritage des « trente glorieuses » (5). Annoncé en mai dernier, le plan « Avenir montagnes » du gouvernement prévoit ainsi un « prêt subordonné (6) pour les opérateurs du tourisme social ». « Le plan annoncé est assez complet et balaie de nombreux sujets, dont celui du patrimoine immobilier, des “lits froids” [résidences particulières peu ou pas utilisées], commente M. Thirot. Néanmoins, il conviendra de voir quel sera l’engagement, notamment financier, qui l’accompagnera, et son application concrète. » Dans une note de la Fondation Jean-Jaurès, et face à la persistance de clivages sociaux profonds dans l’accès aux vacances, l’UNAT préconisait en 2019 d’élargir le public des chèques-vacances et plaidait pour que « les dispositifs des CSE soient juridiquement sanctuarisés et soutenus par l’instauration d’un taux minimal de la masse salariale dédié aux aides sociales et culturelles (7) ».

Signe des temps : le ministère de l’économie et des finances est à son tour confronté à la gestion de son patrimoine destiné aux loisirs de ses fonctionnaires et de ses retraités. Dix-neuf biens situés en bord de mer ou en montagne risquent d’être vendus.

Geneviève Clastres
Journaliste.

(1) Article R2312-35 du code du travail.

(2) Sylvain Pattieu, Tourisme et travail. De l’éducation populaire au secteur marchand (1945-1985), Presses de Sciences Po, Paris, 2009.

(3) Sandra Hoibian et Jörg Müller, « Vacances 2014 : l’éclaircie », Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), rapport n° 320, Paris, janvier 2015.

(4) Soit au moins quatre nuits d’affilée hors du domicile. Enquête « Conditions de vie et aspirations » (PDF), Credoc, janvier 2020.

(5) « Tourisme social : des ailleurs accessibles à tous ! », La Feuille de chou, n° 7, 19 avril 2021.

(6) Prêt sans échéance fixe et dont le remboursement est déterminé librement par le prêteur, en l’occurrence l’État.

(7) Jérôme Fourquet, David Nguyen et Simon Thirot, « Les Français et les vacances : quelles inégalités ? », sondage IFOP pour l’UNAT et la Fondation Jean-Jaurès, Paris, 15 juillet 2019.

Article publié le 26 juillet 2021.


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