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Article paru sur alternatives-economiques.fr
Par Michaël Zemmour
« Il n’y aura pas de perdants. Car les pensions ne baisseront pas. La réforme demande des efforts aux Français. Cela oui. Mais nous faisons en sorte qu’ils soient le plus justement répartis », a déclaré Olivier Dussopt dans Le Parisien du 4 mars. « C’est une réforme de gauche, qui aurait pu être portée par un gouvernement social-démocrate », a-t-il ajouté.
Il est naturel que le ministre du Travail veuille défendre son texte, mais le minimum serait de le faire sur des bases correctes. Or l’objectif du projet de loi, destiné à faire des économies en réduisant les dépenses de retraites, fera des perdantes et des perdants. Ils seront nombreux, et c’est évident.
Quand bien même Olivier Dussopt adopte un point de vue restrictif et ne considère comme « perdantes » que les personnes dont la pension baisse, la réforme pénalisera financièrement de nombreux futurs pensionnés. A commencer par les personnes qui, à législation inchangée, auraient pu bénéficier d’une surcote parce qu’elles ont choisi de travailler au-delà de l’âge du taux plein.
Aujourd’hui, les actifs qui ont tous les trimestres requis à 62 ans acquièrent une surcote de 5 % par an s’ils continuent au-delà de leur plein gré. Demain, avec la réforme, cette surcote serait annulée ou diminuée, jusqu’à 10 points de pourcentage.
Autre effet de ce projet de loi, l’accélération du passage à 43 annuités – qui concernera la génération née en 1965 et non plus celle née en 1973 comme le prévoyait la réforme Touraine –, pourrait léser les personnes nées avant 1974. Ces dernières pourraient voir leur pension baisser, notamment si elles ne décalent pas leur départ en retraite (départ à 67 ans, invalidité, décote).
Cette pénalisation peut passer soit par un coefficient de proratisation moins favorable (dans le calcul de la pension, le nombre de trimestres serait divisé par 172 au lieu de 169 par exemple pour la génération 1966), soit par une décote plus importante.
Mais au-delà du seul montant de pension, c’est principalement par le décalage de l’âge de départ que la réforme fait des perdants en grand nombre et surtout majoritairement des perdantes. Les exemples sont légion. En voici une liste non exhaustive :
Une personne née en 1963, censé partir dans deux ans, à 62 ans, devra travailler neuf mois de plus, pour une pension identique ou à peine supérieure.
Prenons un autre cas, celui d’une salariée du secteur privé, née après 1967, qui a débuté sa carrière professionnelle à 21 ans, mère d’un enfant, ayant la possibilité de partir à 62 ans à taux plein, ou de poursuivre pour obtenir une surcote de 10 % à 64 ans. Avec la réforme, il lui sera interdit de liquider sa retraite à 62 ans ou 63 ans.
Elle aura éventuellement droit, si la proposition des sénateurs LR est votée, à une surcote de seulement 5 % à 64 ans. L’idée de l’amendement LR étant de démarrer le compteur de la surcote à 63 ans pour les personnes ayant une majoration pour enfant, donc principalement les mères en pratique, mais sans pour autant autoriser le départ à cet âge.
Plus généralement, une personne née après 1967, qui comptait partir à 62 ans ou 63 ans, avec ou sans décote ne pourra plus le faire. Il deviendrait donc impossible de prendre sa retraite avant 64 ans, sauf situation particulière comme les carrières longues ou l’invalidité principalement.
Mais même les travailleurs en situation de pénibilité reconnue dont le départ était prévu à 60 ans, devront attendre deux ans de plus du fait de la réforme.
Concernant les carrières longues, certains subiront également un décalage d’un an par rapport à la situation actuelle : un travailleur qui avait commencé sa carrière à 18 ans, sans interruption, pouvait partir à 62 ans avant la réforme. Après l’adoption de la loi, ce serait à 63 ans.
La situation ne serait pas plus enviable pour de nombreux seniors qui finissent leur carrière au chômage ou en inactivité. Ils et elles resteront jusqu’à deux ans de plus à Pôle emploi ou aux minima sociaux, le plus souvent moins protecteurs que la retraite.
Dans la plupart des cas cités, le report du départ se traduit par une pension à peine supérieure à ce qu’elle aurait été (1 % à 3 %). C’est moins favorable que ce que ces personnes obtiendraient sans réforme si elles choisissaient volontairement de partir plus tard. Et c’est ce qui s’appelle y perdre.
Il n’y a pas de réforme « magique » au sens où même une réforme alternative, qui mobiliserait des financements supplémentaires générerait bien sûr des coûts qu’il faudrait répartir dans le temps, entre entreprises et salariés. Mais c’est justement de cela qu’il faudrait discuter, plutôt que de prétendre qu’une réforme qui tape aussi dur, sur des salariés à quelques mois de la retraite, « ne fait pas de perdants ».
Michaël Zemmour est économiste, maître de conférences à l’université Paris 1 et chercheur au Liepp de Sciences Po. Vous pouvez retrouver ses billets de blog ici.
Également à lire en pièce jointe un entretien avec Michaël Zemmour paru dans "Ensemble-La Vie Ouvrière" N°11 de mas 2023 : "Les femmes vont subir le plus durement la "réforme""
Article publié le 13 mars 2023.